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Interview – Philippe Clément, 1000 matchs au SU Dives-Cabourg

Trente et une saisons, un même club, 1000 matchs sur le banc : Philippe Clément incarne la fidélité, la passion et l’engagement dans le football amateur. À l’occasion de cette incroyable longévité, il revient sur une aventure humaine hors normes.

  1. Philippe, 1000 matchs à la tête du même club, c’est exceptionnel. Quand vous avez répondu à cette petite annonce il y a 31 ans, imaginiez-vous une telle aventure ?

« Non, je ne pensais pas que ça durerait autant. J’avais 23 ans et demi, c’était ma première expérience. Je partais un peu dans l’inconnu, mon seul crédit vis-à-vis du groupe, c’était mon passé de joueur en division 4. Si ça a duré, c’est que j’ai senti assez vite que j’avais envie d’être dans un esprit de compétition plutôt que de formation. Les joueurs étaient plus âgés que moi, mais je pense qu’ils ont senti très vite que j’avais envie de me réaliser avec eux, en préservant leur ADN tout en greffant de la rigueur et de la discipline. Nous avons vite partagé des moments forts sur et en dehors du terrain. Le socle humain était posé pour vivre longtemps ensemble. »

  1. Qu’est-ce qui vous a donné envie de rester aussi longtemps au SU Dives-Cabourg, alors que le monde du football évolue si vite ?

« Il y avait beaucoup de choses à construire. On avançait, on structurait intelligemment, on est montés de quelques divisions. Ce fut une force pour nous développer. J’avais une liberté d’action qui est essentielle pour emmener toutes les composantes du club. Il n’y avait pas de pression, une union sacrée, même dans les moments compliqués. Il y avait une complicité, une capacité à relever les défis. Dans ce métier, quand tout va bien, on n’a pas besoin de grand monde, mais quand tout va mal, on a besoin de support, de réconfort. Dans ce club, il y a une dimension humaine. Je dois avoir une part de responsabilité là-dedans. J’ai toujours été compris sur l’importance que j’accorde à l’humain. »

  1. Comment avez-vous vu évoluer le club, les joueurs, et même le football amateur au fil de ces trois décennies ?

« D’un point de vue sportif, tout va plus vite. La vidéo a été une révolution, car elle permet de corriger tout plus rapidement. C’est un élément important dans l’évolution de notre sport. Ce qui a changé, c’est notamment la communication, l’information instantanée via les réseaux. Aujourd’hui, les jeunes ont besoin de réponses sur le plan de la préparation athlétique, la tactique, alors qu’avant le coach décidait de tout sans concertation. C’est le gros de notre travail en tant que coach : c’est à nous d’amener une relation de confiance avec le jeune. Quand on donne, on en reçoit… »

  1. Il y a sûrement eu des hauts et des bas… Y a-t-il un moment fort que vous n’oublierez jamais ? Et un moment difficile qui vous a marqué ?

« Le moment fort pour moi reste notre descente en 2010, de CFA en DH. À ce moment-là, j’ai reçu une médaille de la ville, un geste qui m’a profondément touché. La ville et le club ont choisi de mettre en avant notre régularité plutôt que de se concentrer sur la contre-performance. Ce soutien a été un véritable moteur pour repartir, et nous avons réussi à remonter assez rapidement. J’ai particulièrement apprécié ce signe des dirigeants. Après 16 ans passés au club, cela m’a donné l’envie de continuer. Ce geste de reconnaissance a eu un réel impact et a porté ses fruits.

Moment difficile : avoir vu mon fils se faire deux fois les croisés. Ce sont des moments douloureux. C’était mon joueur. Ça a perturbé le père et le coach. Quand ça fonctionne, c’est très fort, comme lors de son premier match où il marque à la 89e minute. Quand il y a des blessures, c’est très dur. »

  1. L’épopée en Coupe de France reste un souvenir fort pour beaucoup. Que représente-t-elle pour vous, humainement et sportivement ?

« Humainement, c’est une compétition unique, avec des moments et des émotions privilégiées qu’on ne retrouve pas ailleurs. Je dis à mes joueurs : vous ne ressentirez pas autant d’émotions ailleurs… Avec un stade, des gens qui pleurent de joie… Ces moments instantanés, on ne les retrouve nulle part ailleurs dans la vie. Ces frissons, ces larmes de bonheur… Le foot est tellement indécis, plein de surprises. Ce qui nous met dans cet état second, c’est de réaliser l’impossible. Ce sont des moments de partage et de communion avec les proches et les gens.

Sportivement, on arrive à réaliser des choses qu’on ne pensait pas réalisables. On s’aperçoit qu’on peut faire des choses très fortes. On a des ressources insoupçonnées. Je suis fou amoureux de cette Coupe. »

  1. Comment parvient-on à se renouveler, à garder la flamme, quand on dirige un groupe depuis aussi longtemps ?

« Je crois que j’ai des joueurs aussi fidèles que moi au club, il y a un ADN particulier. Ville ouvrière, gens habitués à lutter au quotidien. Les joueurs s’y retrouvent aussi. Les joueurs fidèles donnent envie de continuer. Cette beauté d’emmener les gens, personne n’est rassasié. Offrir des instants de bonheur… Les causeries du début sont-elles les mêmes aujourd’hui ? Il y a 1000 causeries, on essaie d’être différent, de donner une étincelle à chacune et de l’émotion. J’ai par habitude d’être théâtral. De grandes lignes accompagnent ma causerie, je vais greffer ensuite avec le ressenti du moment. C’est ce que j’aime : transformer les mecs, comme des héros sur chaque match. Samedi, ce sera comme d’habitude : c’est le cœur qui construira la causerie.

Ma femme est la principale partenaire du club et aussi responsable de la partie financière. Mes 4 enfants y ont joué. On vit avec ce club tous les week-ends, c’est notre famille, mon 5e enfant, lol… »

  1. Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération de joueurs que vous formez aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a changé dans leurs attentes, leur mentalité ?

« Leurs attentes ? Avant, il y avait un rapport d’autorité avec le coach. Aujourd’hui, c’est différent : partage. Ils ont besoin de comprendre, de connaître la définition de la tactique. Ils attendent des réponses. Avant, ce que disait le coach était parole d’Évangile. Aujourd’hui, ça nous pousse à nous remettre en cause. Rien n’est au hasard dans le foot. C’est irrationnel : si tu joues bien, tu ne gagnes pas forcément. Ça reste de super garçons, il faut leur donner du respect et de l’amour. Des réponses plus spécifiques que globales. Si on veut réussir collectivement, c’est à nous de faire en sorte qu’il y ait une osmose, un épanouissement collectif. S’il n’y a pas de respect et d’amour dans les moments compliqués, vous risquez d’être seul. Le relationnel doit être vrai et authentique. Les accompagner en tant qu’hommes est essentiel pour en faire de bons joueurs. »

  1. Avez-vous eu des opportunités de partir, de rejoindre d’autres clubs ou d’autres projets ? Et pourquoi êtes-vous resté fidèle à Dives-Cabourg ?

« Oui, j’ai eu un contact assez tôt avec Caen. Nous étions en DH avec Dives avec un parcours en 32e de Coupe de France. Ils m’ont téléphoné, mais j’ai refusé car on vivait une épopée superbe. Je suis un homme de compétition, je n’avais pas envie d’un club pro qui ne me convienne pas. J’avais besoin de liberté d’action, de véracité dans les rapports. C’est pourquoi je voulais rester à Dives.

Deuxième contact avec Stéphane Guy, on a déjeuné ensemble. Il voulait m’emmener à Alençon. Ce fut un échange très riche, mais j’ai refusé…

Troisième contact, pour Abidjan (toujours Pascal Théault), mais ma femme était dans les affaires, j’ai privilégié sa carrière. Je n’étais pas assez fou et je suis très famille. J’ai besoin de mes enfants au quotidien. »

  1. Quel est votre style de management ? Vous considérez-vous comme un formateur, un meneur, un protecteur ?

« Meneur et protecteur. Formateur, on l’est forcément. On fait progresser, on les forme pour la vie aussi. Qu’ils se construisent en tant qu’hommes. J’ai un management basé sur la confiance. J’ai envie qu’ils se réalisent, qu’ils poussent leurs limites le plus loin possible. Je veux que, quand on se quitte, ils se disent qu’on a réussi, puisqu’on s’est offert des souvenirs. Qu’ils ne se souviennent pas que du coach, mais de l’homme aussi. »

  1. Et maintenant ? Ce 1000e match marque-t-il une étape vers autre chose, ou l’aventure continue ?

« Non, ça reste un chiffre. Je n’ai pas regardé le nombre d’années, ni le nombre de jours. C’est un métier passion. Il y a eu des coups de fatigue, mais j’ai rebondi, car j’étais bien accompagné. Vivre le moment présent, c’est ça l’important. Ce qui est passé, on ne peut pas le changer et l’avenir, on ne le connaît pas… ALORS JOUONS ET RIONS ENSEMBLE »

 

Merci Philippe Clément. Pour cette belle leçon de fidélité. Le football n’est pas qu’une affaire de résultats : c’est d’abord une histoire de liens.

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